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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/96

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ma garde-robe ; elle consistait en une paire de bottes en caoutchouc qui, heureusement, refoulaient l’eau aussi vite qu’elles l’aspiraient, deux combinaisons à cinquante cents, une chemise de coton de quarante cents et un suroît de pêcheur qui constituait mon unique coiffure. On remarquera que je n’ai compris dans cette liste ni linge de dessous ni chaussettes, pour la bonne raison que je n’en possédais pas.

Pour gagner les magasins où je me proposais de me remettre à neuf, nous devions passer devant une douzaine de bars. C’est là que je m’arrêtai d’abord, et j’y restai jusqu’au matin. Complètement fauché, empoisonné, mais satisfait tout de même, je revins à bord et nous mîmes à la voile. Je rapportais sur moi les frusques que j’avais en partant, et pas un cent ne me restait des cent quatre-vingts dollars. Il peut paraître invraisemblable, à ceux qui n’ont jamais fréquenté de tels milieux, qu’un gamin soit capable de dépenser en boissons une telle somme dans l’espace de douze heures. Mais je sais à quoi m’en tenir.

Je n’éprouvais aucun regret. J’étais fier de moi. Je leur avais montré que je pouvais me mesurer avec le plus prodigue d’entre eux. Je m’étais révélé un fort parmi les forts. Je venais de confirmer, comme maintes fois déjà, mon droit au titre de « Prince ». Ma conduite peut s’expliquer en partie comme une réaction contre la gêne et le surmenage de mon enfance. Peut-être aussi ma pensée intime était-elle celle-ci : mieux vaut régner en prince parmi les ivrognes batailleurs que de trimer devant une machine douze heures par jour, à dix cents. Le travail de