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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/104

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LE LOUP DES MERS

pensais. Et l’animal a embarqué sans un sou vaillant !

Je pris hardiment la parole :

— Nous sommes d’accord, capitaine ! Et l’argent que vous avez gagné m’appartient.

Loup Larsen me gratifia d’un sourire moqueur.

— Hump, j’ai étudié la grammaire autrefois. Vous embrouillez le temps des verbes. Vous devriez dire, pour parler correctement : « m’appartenait » et non : « m’appartient ».

Je ripostai :

— Ce n’est pas là une question de grammaire, mais de morale.

Loup Larsen se tut, pendant une bonne minute, puis répondit gravement, avec une sorte de mélancolie :

— C’est la première fois que j’entends ce mot dans la bouche d’un homme. Je suis heureux de vous l’entendre prononcer sur ce bateau qui, sauf vous et moi, n’est peuplé que de brutes. Ça me change un peu. Je me suis souvent plongé dans la lecture, afin de m’élever au-dessus de la situation sociale où le sort m’a fait naître. Je ne suis pas un ignorant… Mais, pour ce qui nous occupe, vous vous trompez. Ce n’est là une question ni de grammaire ni de morale, mais une question de fait.

— Je comprends… Et le fait consiste en ceci : c’est vous qui avez l’argent dans votre poche ?

Son visage s’éclaira.

— Bien raisonné, s’écria-t-il.

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