Aller au contenu

Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
JACK LONDON

cette crique glaciale, je l’ignore et ne l’ai jamais su. C’étaient de pauvres gens, complètement illettrés. Ils descendaient de générations tout aussi pauvres et illettrées qui, comme eux, labouraient la mer, et depuis une éternité de siècles, semaient leurs fils sur les vagues.

« Je vous ai dit tout ce que je connaissais de moi, et je n’ai plus rien à vous apprendre.

— Est-ce bien certain ? Est-ce tout ?

— Que voulez-vous de plus ? reprit-il avec amertume. Voulez-vous que je vous parle de mon enfance misérable ; je n’avais que du poisson pour toute nourriture. La vie était dure.

« Dès que j’ai pu me traîner, je suis monté sur un bateau. Mes frères aînés sont partis au loin, l’un après l’autre, sur les mers, et ne sont jamais revenus. Moi, dès dix ans, l’âge mûr ! j’ai été embarqué, comme mousse, sur de vieux sabots qui faisaient le cabotage. Un dur travail et des traitements plus durs encore ont été mon lot. Les coups étaient souvent mon lit et mon pain, et la seule façon de me parler. La crainte, la souffrance et la haine ont été les seules impressions de mon âme d’enfant.

« Époque atroce, dont je ne veux pas me souvenir. Une rage folle me monte encore au cerveau quand j’y songe ! Il y a certains de ces capitaines-caboteurs que j’ai mille fois rêvé de retrouver et de tuer, quand j’ai atteint l’âge d’homme, avec sa force. Mais alors ma vie m’avait entraîné loin de là.

132