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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/132

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LE LOUP DES MERS

« Je suis pourtant retourné une fois, il y a peu d’années, sur cette terre maudite. Malheureusement, tous mes anciens tortionnaires étaient morts. Sauf un seul, un second autrefois, qui était devenu capitaine. Je l’ai tellement amoché qu’il restera estropié pour le restant de ses jours.

— Mais où et comment avez-vous appris à lire et à écrire ?

— Quand, au bout de deux ans, je suis passé dans la marine anglaise. Mousse de cabine à douze ans, mousse en titre à quatorze, novice à seize, matelot à dix-sept et finalement cuisinier. Telle a été mon ascension solitaire et pénible, livré à moi-même, sans aide morale ni aucune sympathie.

« Tout ce que je connais, je l’ai appris par mes propres moyens : navigation, mathématiques, philosophie, littérature, et que sais-je encore ? Ça m’a conduit, comme vous le dites, à être, à l’apogée de ma vie, maître et propriétaire d’un bateau, avec la perspective du déclin et de la mort. C’est peu, n’est-ce pas ? Comme le grain semé sur un sol pierreux, j’ai été brûlé par le soleil, faute de racines suffisantes.

— La chance, répondis-je, vous a manqué. La chance qui, nous enseigne l’histoire, a élevé parfois des esclaves jusqu’à la pourpre.

— Oui, oui, je sais… Mais personne ne crée la chance, et l’occasion favorable m’a fait défaut. Tout ce qu’on peut faire est de la reconnaître quand elle se présente. Ça a été le cas du Corse,

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