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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/164

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LE LOUP DES MERS

môme, qui m’a envoyé à l’école ? Qui m’a donné à boulotter à ma faim ? Qui m’essuyait le nez, quand il était morveux ? Personne ne s’est jamais occupé de moi.

Je lui mis ma main sur l’épaule et m’efforçai de le consoler.

— Allons, lui dis-je, un peu de courage, Tommy ! Un jour, tout finira par s’arranger pour toi… Tu es jeune encore et tu te feras un sort.

— C’est pas vrai ! protesta-t-il violemment, en se dégageant de ma main. Je ne suis plus jeune, et ce que je suis, c’est-à-dire un pauvre minable, je le resterai toujours.

« Toi, Hump, t’es un gentleman, et tu peux pas comprendre ces choses. Tu n’as jamais su ce que c’était d’avoir faim, de gémir en dormant, parce que ton ventre te démange… Oui, te démange, comme s’il y avait dedans un rat qui le grignote.

« Non, non ! Pas d’espoir pour moi. Même si on me nommait demain Président des États-Unis, ce n’est pas ça qui effacerait toute ma poisse passée et les jours sans bouffer que j’ai connus.

— Voyons, Mugridge, calme-toi. Tu exagères, je t’assure…

— J’exagère… J’exagère quoi ? Souffrir, j’ai jamais connu que ça. Et j’ai souffert pour dix, je te le jure. J’ai vécu la moitié de mon existence sur un lit d’hôpital. J’ai eu la fièvre jaune à Aspinwal, à La Havane, à La Nouvelle-Orléans. À la Barbade, j’ai failli crever du scorbut, qui m’a pourri le sang

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