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Page:London - Le Loup des mers, 1974.djvu/88

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LE LOUP DES MERS

— Bien, bien, capitaine… répondit l’interpellé, en donnant un léger tour à la roue.

Au risque d’encourir la colère du terrible capitaine, l’homme avait, à dessein, manœuvré de façon à donner un peu de stabilité au navire, pour que, rassuré, Harrison se décide à descendre.

Mais Loup Larsen avait l’œil et il s’était hâté, histoire de s’amuser, de déjouer le coup.

Le temps s’écoulait, Harrison ne descendait toujours pas, et l’attente se faisait de plus en plus angoissante. Thomas Mugridge considérait l’aventure comme une bonne farce et passait continuellement sa tête hors de la cuisine, pour lancer une plaisanterie.

Décidément, cet homme me dégoûtait. D’instant en instant, ma haine grandissait, au point de prendre des proportions incommensurables. Pour la première fois dans mon existence, je sentais monter en moi le désir de tuer. Je « voyais rouge », comme on dit en littérature. Certes, j’ai été élevé dans le respect de la vie, qui est une chose sacrée. Mais la vie de Thomas Mugridge, cela ne pouvait pas compter.

J’étais effrayé de la sauvagerie qui m’envahissait et je me demandais si, sous l’influence de l’universelle bestialité dont j’étais entouré, je n’allais pas me conduire moi-même comme tous ces hommes, qui me faisaient horreur. Oui, moi qui déniais à la Justice le droit de punir de mort, même en châtiment du crime le plus flagrant, allais-je tuer ?

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