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Page:London - Le Tourbillon, trad Postif, 1926.djvu/99

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d’y mettre le prix. Et d’ailleurs, Saxonne, vous étiez faite pour porter des chemisettes de fantaisie et tout cela, mais franchement, je ne vous vois pas les payant de cette manière. Ce serait un crime… Oui, pourquoi mon patron a-t-il deux cents chevaux, et des femmes et tout le reste, tandis que vous et moi ne possédons rien ?

— Vous possédez votre force, Billy, dit-elle doucement.

— Et vous la vôtre, c’est entendu. Tout de même, nous la vendons au comptoir, à tant le mètre. Je parie bien que vous n’ignorez pas ce que produiront sur votre santé encore quelques années de repassage. Regardez-moi. Je suis en train de vendre ma santé à petit feu, à chaque journée de travail. Vous voyez ce petit doigt ? (Il prit un instant les rênes d’une seule main et lui montra l’autre.) Je ne puis plus le redresser comme les autres, et ça empire. Je le rentre toujours quand je me bats. C’est le métier de charretier qui en est cause. C’est de la force que j’ai vendue au comptoir, voilà tout. Avez-vous jamais vu les mains d’un vieux conducteur d’attelages à quatre chevaux ? on dirait des serres, tant elles sont déformées et tordues.

— Les choses ne se passaient pas ainsi dans le vieux temps, à l’époque où nos parents ont traversé les plaines, répondit-elle. Ils avaient peut-être des doigts tordus, mais ils possédaient ce qu’il y avait de mieux en fait de chevaux et autres richesses de ce genre.

— Sûrement. Ils travaillaient pour eux-mêmes. Ils se tordaient les doigts à leur propre service. Moi je me les tords pour mon patron. Figurez-vous, Saxonne, qu’il a les mains douces comme une femme qui n’a jamais travaillé. Pourtant il possède les chevaux et les écuries, et n’en fiche pas une datte, tandis que moi, tout ce que je peux faire est de gratter, pour ma nourriture et mes habits. Ça me met en rogne de voir comment les choses marchent. Et qui les fait marcher de cette façon ? Je