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Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/207

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« MAINTENANT, Ô MON ROI ! »

et toute rabougrie. Mais sa belle âme ne fléchit point, et elle posséda mon cœur jusqu’à l’heure de ma mort. Moi, pour un homme de soixante-dix ans, j’étais demeuré vigoureux encore. Si mon visage s’était ridé, si mes cheveux d’or étaient devenus blancs, si mes larges épaules s’étaient voûtées, quelque chose survivait toujours, dans mes muscles, de ma force ancienne. Grâce à quoi je pus accomplir ce que je vais maintenant raconter.

Par une belle matinée de printemps, j’étais assis avec Lady Om sur les falaises de Fusan, et nous nous chauffions au soleil, à quelques pas de la grand’route. Nous étions en guenilles, misérablement, dans la poussière. Et pourtant, tous deux, nous riions de bon cœur, à une plaisanterie que venait de marmotter Lady Om.

Une ombre, soudain, s’abattit sur nous. C’était la grande litière de Chong-Mong-ju, portée par sept coolies, précédée et suivie d’une escorte de cavaliers, et encadrée, de chaque côté, d’une nuée de serviteurs, qui se trémoussaient à qui mieux mieux.

Deux empereurs, une guerre civile et une douzaine de révolutions de palais, avaient passé sans que la puissance de Chong-Mong-ju en eût été ébranlée. Il pouvait avoir près de quatre-vingts ans, quand, ce matin de printemps, sur la falaise, il fit, un signe de sa main, aux trois quarts paralysée, afin que sa litière s’arrêtât et qu’il pût contempler encore ceux que, depuis si longtemps, il punissait.

Lady Om me murmura à l’oreille :

— C’est maintenant, ô mon Roi…

Puis, rapidement, elle se détourna pour implorer une aumône de Chong-Mong-ju qu’elle feignait de ne pas reconnaître.

Je n’ignorais pas ce qui se passait dans sa pensée. Cette pensée ne nous avait-elle pas été commune, pendant quarante ans ? Et l’heure de son aboutissement était enfin arrivée.

Alors, moi aussi, j’affectai de ne point reconnaître mon