Aller au contenu

Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
LE VAGABOND DES ÉTOILES

faire de cet avorton ? Écoute, toi, Lingaard, tu l’élèveras tout de même et, plus tard, il me servira d’échanson. Veille bien sur les chiens, qu’ils n’en fassent point une bouchée dans leur gueule, comme d’un petit bout de viande oublié sur la table.

Ce fut le vieux Lingaard qui, effectivement, prit soin de ma piaillarde enfance, et je ne connus l’affection ni les caresses d’aucune femme. Je suivais le destin de Tostig Lodbrog, tantôt à terre, où l’on bataillait, tantôt sur les nefs qui vacillaient dans les tempêtes. Comment je survécus et pus faire un jour mentir la prophétie de Tostig, qui avait déclaré que je ne serais jamais qu’un nain, Dieu seul le sait ! Toujours est-il que je grandis rapidement. Tostig dut renoncer à me plonger dans son pot d’hydromel et à tenter de m’y noyer, sauvage plaisanterie qu’il affectionnait fort.

J’avais, sans doute, l’âme solidement chevillée au corps et je commençai à remplir mon rôle d’échanson. Alors que nos bateaux étaient immobilisés dans la mer gelée, je me vois encore, dans la salle du festin de Brunanbuhr, titubant, en tenant en mains le crâne de Guthlaf, empli de vin chaud parfumé, et que j’allais présenter à Tostig, assis à l’extrémité de la table.

Tostig Lodbrog, complètement ivre, rugissait, et tous les convives avec lui. On se serait cru dans une maison de fous. Des scaldes chantaient les exploits d’Hialli, ceux du vaillant Hogni, et l’or de Nibelung, et la vengeance de Gudrune, quand elle servit à manger à Atli le cœur de leurs propres enfants. Je vivais parmi des hommes féroces, aussi féroces dans leurs jeux que dans leurs combats, et, n’en connaissant point d’autres, je trouvais toute naturelle leur compagnie.

Une heure vint où, moi aussi, j’eus ma grande colère, ma colère rouge. Je n’avais encore que huit ans, lorsque mes dents se découvrirent. C’était au cours d’une vaste beuverie, à Brunanbuhr, où Lodbrog avait invité à sa table le chef danois Agard, son allié. Une dispute ne