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« SAMARlE ! »

Je me suis assis au palais des grands de la terre, comme bouffon, scribe et homme d’armes, et Roi moi-même, la couronne au front, à la place d’honneur de la table. J’ai réuni, derrière les murs épais de mon palais, le pouvoir temporel symbolisé par le glaive que je tenais dans ma main et par les innombrables soldats que j’avais sous mes ordres, et le pouvoir spirituel, dont témoignaient les moines encapuchonnés et les gras abbés qui s’asseyaient à table au-dessous de moi, lampaient mon vin à grands traits et se gorgeaient de mes viandes. Parfois, d’une voix solennelle, je jugeais, grave comme la mort. Je condamnais, selon la gravité de l’infraction ou du crime, et j’imposais la mort légale à des hommes qui, comme Darrell Standing dans sa prison de Folsom, avaient outragé la loi.

Je me voyais, alternativement, portant autour du cou le collier de fer des esclaves, en de froides régions désolées, ou, sous les nuits tropicales et parfumées, aimé de belles princesses de sang royal, tandis qu’autour de nous des esclaves noirs agitaient l’atmosphère assoupie, à l’aide de grands éventails de plumes de paon. Parmi le glouglou des fontaines et sous les calmes ramures des palmiers, on entendait, au loin, flotter dans l’air le cri des chacals et le rugissement des lions.

Tantôt, perdu dans les steppes glacées de l’Asie, je me réchauffais les mains devant de grands feux, faits d’excréments séchés de chameaux. Et, presque aussitôt, je me retrouvais dans le torride désert d’Afrique, couché à l’ombre maigre des buissons de sauge, tachetée de soleil, près de puits desséchés. Je haletais, la langue sèche, après une goutte d’eau, tandis qu’autour de moi s’alignaient, classés ou étiquetés dans des bocaux d’alcali, la multitude des ossements d’hommes et de bêtes, qui avaient péri comme j’allais le faire, de chaleur et de soif.

J’étais écumeur de mer, assassin soudoyé et pirate, ou moine érudit et savant, courbé, dans la quiétude paisible de sa cellule, sur les pages manuscrites, de par-