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LE VAGABOND DES ÉTOILES

chemin d’énormes volumes, antiques et moisis. Le monastère où j’étais reclus était perché au faîte et dans les anfractuosités de hautes falaises vertigineuses, et, à l’heure du crépuscule, j’apercevais au-dessous de moi, sur les pentes inférieures de la montagne, les paysans peiner encore parmi les vignes et les oliviers, ou ramenant des pâtures les chèvres bêlantes et les vaches qui meuglaient.

Puis, soudain, chef barbare, entraînant à ma suite des hordes hurlantes, je conduisais d’innombrables files de chariots, par des routes défoncées, et je foulais le roc d’antiques cités oubliées. Je me battais furieusement, sur ces champs de bataille d’antan. Pas même lorsque le soleil était au terme de sa course, le rouge carnage ne cessait. Il se continuait durant les heures de nuit, sous les étoiles qui brillaient au ciel. Et la fraîcheur du vent nocturne, refroidi aux lointains pics neigeux sur lesquels il avait passé, n’arrivait pas à sécher la sueur de la bataille.

Hardi nautonier, grimpé au faîte des mâts qui oscillent sur le pont des navires, je me plaisais à contempler au-dessous de moi l’eau de la mer, transparente sous le soleil, où des forêts écarlates de corail chatoyaient au fond des abîmes, couleur de turquoise. Puis, redescendant au gouvernail, j’amenais mon bateau, d’une main sûre, dans l’abri paisible, étincelant comme un miroir, de golfes calmes, à l’entrée desquels le flot se brise éternellement, avec un bruit sourd, sur les récifs à fleur d’eau de ces mêmes coraux.

Plus proche dans son origine, était une autre réincarnation, qui fréquemment s’opérait en moi. Celle des jours de mon enfance. Je redevenais le petit Darrell Standing qui, à la ferme paternelle, courait pieds nus, dans l’herbe humide de la rosée printanière. Ou, comme aux froids matins d’hiver, j’allais, avec mes mains couvertes d’engelures, porter le foin aux bestiaux dans la tiède étable, qu’emplissaient leurs fumantes haleines. Et il me semblait me rasseoir, le dimanche, devant le prédicateur, écou-