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Page:London - Les Temps maudits, 1974.djvu/68

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LE RENÉGAT

— Je vais me coucher.

Ses pieds traînaient plus lourdement que de coutume sur le carrelage de la cuisine. Le déshabillage lui parut une œuvre de titan, une futilité monstrueuse, et il pleurait de faiblesse en se glissant entre les draps, un pied encore chaussé. Il avait conscience de quelque chose qui lui montait à la tête, s’y enflait et lui épaississait la cervelle tout en l’allégeant. Ses maigres doigts lui paraissaient aussi gros que son poignet, et, à leurs extrémités, il éprouvait une sensation lointaine, vague et légère comme son cerveau. Les reins lui faisaient horriblement mal. Il souffrait dans tous les os et dans tout le corps. Et dans sa tête commençaient à retentir les craquements, chocs, fracas et rugissements d’un million de métiers. Tout l’espace se remplissait d’un vol de navettes. Elles allaient et venaient, s’entremêlant aux étoiles. Lui-même manœuvrait un millier de métiers et les activait sans cesse, tandis que sa cervelle, se déroulant de plus en plus vite, alimentait les mille navettes en plein vol.

Il n’alla point travailler le lendemain matin, trop occupé à ce colossal tissage sur les mille métiers en activité dans sa tête. Sa mère partit