Page:Londres - Au bagne.djvu/65

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voir pour rien, pour causer. Vous pouvez peut-être avoir quelque chose à dire ?

— Oh non ! je ne demande que le silence.

— Et sur vos quinze années au Diable ?

— Il y a deux points de vue : celui du condamné et celui de la société. Je comprenais fort bien celui de la société ; je souffrais également fort bien du point de vue du condamné. Voyez-vous, ce ne sont pas les hommes, mais les textes qui sont le plus redoutables. Et plus ils viennent de haut et de loin, plus ils s’éloignent de l’humanité. J’ai expié. J’ai voulu expier. Je me suis fait un point d’honneur de ne pas mériter en quinze ans une seule punition. C’était difficile. Un réflexe qui, dans la vie libre, ne serait qu’un geste, ici devient une faute. J’ai trahi. J’ai voulu payer proprement. Vous avez été au Diable, déjà ?

— Oui.

— Ah ! Cela ne fait pas mal en photographie, n’est-ce pas ? Quand je suis arrivé sur le Loire, en 1908, moi aussi j’ai dit : c’est coquet.

— Vous êtes resté huit ans tout seul ?

— Oui, tout seul.

— Mais il n’y avait personne ?

Avec un sourire amer :

— Si. Des cocotiers. Une fois le gouverneur est venu. Il demanda à mon surveillant : « Combien de temps restez-vous au Diable ? » — « Six mois ». — « Six mois ! C’est effrayant ! Comment pouvez-vous tenir ? »