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TERRE D’ÉBÈNE

flottant dans sa marche. S’il mourait, il devrait s’enterrer lui-même. Les jours de fête, quand il délaisse les conserves, il se régale d’une cervelle de singe. Il lui vient même des idées bizarres. Ainsi l’un d’eux ne crut pas manquer à la bienséance en écrivant le plus sérieusement du monde à la sainte religieuse, directrice de l’orphelinat de Grand-Bassam, pour la prier de lui choisir elle-même une compagne, la plus jolie, parmi ses pensionnaires !

Ces jeunes hommes à qui la force peut finir par manquer mais l’estomac jamais, ne quittent pas la chicotte. Vous les voyez, dans un sursaut de conscience professionnelle, se lever du tronc où, épuisés, ils sont assis et courir rageusement après les déserteurs. Il ne les rattrapent pas tous. Dix mille nègres, ayant fui le tirage des billes, vivent en effet hors des villages, de la vie des singes rouges, entre Dimbokro et Abidjan. Les soirs, un par un, les captifs de la forêt reviennent du chantier au campement, le chef aussi. Triste retour et du blanc harassé et des noirs défaits. Pas un bruit, rien d’autre que le cri rauque du turaco-bleu, un oiseau qui parle avec une voix d’outre-tombe. Alors, le jeune homme de France rentre sous sa toiture de feuilles de bananier. Il monte ses bouteilles d’apéritif sur sa table, et peut-être chante-t-il tous les soirs la chanson de celui-ci, surpris dans sa solitude :