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TERRE D’ÉBÈNE

avait la parole et qu’il ferait des gestes de détresse si la nature lui avait donné le don du mouvement. Il se plaindrait d’avoir une telle dégaine et des bras comme les culs-de-jatte ont des jambes !

— Oui ! oui ! regardez bien ! C’est tout ce que nous avons comme ombrage. Vous en restez bouche ouverte. Il faudra la fermer. Ce paysage ne changera pas pendant six cents kilomètres. Votre mâchoire se fatiguerait à la longue. Dans un pays où nous aurions besoin d’ombre, voilà ce qu’on nous donne ! Mais je me présente : Jean Miette, conducteur de travaux publics, seize ans de colonie, plus un cheveu sur la tête, pas une seule saison à Vichy. J’étais le plus beau foie de la Côte d’Ivoire. Ça ne va pas durer. Carde veut mon foie : il m’affecte au Soudan, où l’on ne sue jamais. Il a décidé la chose un matin, dans son palais en pâtisserie. Il a dit : « Miette ne suera plus ! » Je suis discipliné. Je ne suerai plus, voilà tout !

Il ne cessait de s’éponger.

— Et mon foie, deviendra comme un caillou, ce qui fera deux cailloux avec celui que j’ai sous mon casque. N’avez-vous pas soif ?

On avait dépassé Rufisque, Thiès, Bambey, Diourbel. Aux stations, les indigènes vociféraient à la portière de leurs compartiments spéciaux. Ils connaissaient tout le monde, ils appelaient chacun.