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TERRE D’ÉBÈNE

peut-être pas une affaire, mais sur deux cent soixante hommes, soixante de moins auraient dû en paraître une.

Et le troupeau prenait la brousse, traversait les marigots, gagnait le Mayombe, forêt cruelle. Les vivres précédaient-ils les voyageurs ? Une fois sur deux. Les suivaient-ils ? Pas davantage ! En tout cas, s’ils les suivaient, ils ne les rattrapaient jamais ! Les convois attendaient en vain le mil et le poisson salé. Trouvaient-ils parfois des magasins de vivres ? Le gardien n’avait pas le droit de leur donner à manger, le règlement de marche n’ayant pas prévu que les travailleurs dussent avoir faim à cette étape. « Faim ! Faim ! » ce mot tragique montait tout le long de la route. En quittant Brazzaville, chaque homme avait bien touché dix francs. Avec ces dix francs, l’administration estimait qu’il pouvait marcher des jours sans avoir faim ! Pauvre Saras ! À la sortie de la capitale, un avisé marchand leur avait échangé le billet contre un peigne de fer ! Savaient-ils, eux qui ne savaient rien, qu’ils ne seraient pas nourris le lendemain ? Or le nègre ne mange pas encore le fer ! Aussi était-ce un surprenant spectacle. Sur dix kilomètres, le convoi n’était plus qu’un long serpent blessé, perdant ses anneaux, Bayas écroulés, Zindès se traînant sur un pied, et capitas les rameutant à la chicotte.