Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/113

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Laura.

Eh bien ! où en sommes-nous ?

Le Comte.

Je m’en vais.

Laura.

Attends un moment.

Le Comte.

Non, je pars.

Laura.

Je t’en prie, Martin, tourne un peu les yeux vers moi. Ce sont deux flambeaux qui m’éclairent.

Le Comte.

Tu ferais mieux de dire deux ruisseaux qui doivent pleurer mes ennuis.

Laura.

Qu’as-tu donc ?

Le Comte.

Dieu le sait, car je t’ai trouvée embrassant un homme qui a été ton bon ami. Je viens de m’assurer par expérience que l’on n’oublie jamais ce que l’on a aimé pendant un temps.

Laura.

Ne te plains pas, mon cher bien. Je ne l’ai pas aimé, tant s’en faut, comme je t’aime. Et puis cette faveur n’en était pas une en réalité. Je l’ai embrassé malgré moi.

Le Comte.

Qui t’y a contrainte ?

Laura.

Mon père.

Le Comte.

Dis-tu vrai, au moins ?

Laura.

Il me l’a ordonné.

Le Comte.

Tu pouvais t’en défendre. — Mais non, tu as préféré l’embrasser à mes dépens. Vous autres femmes vous aimez toujours ceux qui vous méprisent.

Laura.

Quoique je n’aie pas d’esprit, je ne suis pas si accommodante.

Le Comte.

Je te connais bien, Laura. Il t’aura ensorcelée avec son chapeau de feutre et sa veste neuve.

Laura.

Oui, il y avait bien là de quoi m’émouvoir ! Je ne suis pas une enfant, et j’ai déjà vu des nouveaux mariés aussi bien mis. D’ailleurs, j’aime bien mieux ta casaque blanchie de farine que sa veste brodée de damas et de camelot. — Allons, mon âme, si tu ne veux pas me désoler, ne me boude plus et embrasse-moi.