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activité incomparable, il apprenait le chant, la danse, les armes ; et ici encore il surpassait tous ses condisciples ; ce qui indiquerait une de ces organisations faciles et puissantes qui sont si rares en tous pays, même dans cette heureuse Italie qui pourtant a vu naître Léonard de Vinci, Michel-Ange et Galilée.

Pendant que Lope achevait ses études, il perdit son père et sa mère, et fut laissé aux soins de quelques parents éloignés. L’un d’eux s’appropria son modeste héritage. Mais ce qu’il y eut de plus fâcheux pour le pauvre enfant, c’est que ses guides naturels lui manquaient au moment où il aurait eu surtout besoin d’une direction amie et vigilante.

Se trouvant à peu près maître de ses actions (1576), le jeune Lopc fut curieux de voir le monde. Toutefois, ne voulant pas réaliser seul un projet de cette importance, il s’assura pour compagnon d’un de ses camarades d’université nommé Fernan Muñoz, qui avait, dit Monlalvan, le même tour d’imagination (su mismo genio). Ils rassemblent en secret tout l’argent, tous les objets dont ils peuvent disposer, et ils partent. Arrivés à Ségovie, et déjà sans doute fatigués d’une si longue marche, nos voyageurs achètent, moyennant quinze ducats, un superbe roussin pour les porter eux et leur bagage, traversent triomphalement Lavañeza, et poussent jusqu’à Astorga, sur les confins de la Galice. Là ils font une halte. Étonnés de voir le monde plus grand qu’ils ne l’avaient supposé et leurs ressources presque épuisées, et aussi, à ce qu’il paraît, regrettant les douceurs de la famille, ils tiennent conseil, et les voilà qui reviennent. Mais, de passage à Ségovie, ils n’avaient plus d’argent. Obligés, l’un de changer ses derniers doublons, l’autre de vendre une chaîne d’or, ils entrent chez un orfèvre. Cet orfèvre, qui peut-être, insinue Montalvan, n’avait pas toujours mis dans ses achats toute la circonspection nécessaire, soupçonne quelque chose et dénonce les deux fugitifs. Ils sont sur-le-champ arrêtés. Heureusement le corrégidor entre les mains duquel ils tombèrent était un homme de sens et d’esprit. Il comprit sans peine qu’il avait affaire à deux écoliers, et après les avoir admonestés sur leur escapade, il renvoya tout de suite à Madrid, à leurs parents, sous la conduite d’un alguazil, les deux illustres voyageurs qui venaient de découvrir la Galice et Astorga.