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JOURNÉE I, SCÈNE I.

La Comtesse.

Assurée qu’on ne venait pas pour moi, je suis plus tranquille. — Marcelle !

Marcelle.

Madame ?

La Comtesse.

Écoute.

Marcelle.

Que désirez-vous ? (À part.) Je tremble.

La Comtesse.

Est-ce bien toi, Marcelle, toi à qui je confiais toutes mes pensées, tous mes sentiments ?

Marcelle.

Qu’a-t-on pu vous dire de moi ? Est-ce que l’on m’accuse d’avoir manqué à la fidélité que je vous dois ?

La Comtesse.

Toi de la fidélité !

Marcelle.

En quoi vous ai-je offensée ?

La Comtesse.

Et n’est-ce pas la plus grave des offenses que de recevoir dans ma maison, dans mon appartement, un homme qui vient te parler ?

Marcelle.

Mon Dieu ! madame, c’est que Théodore est si fort épris, que, partout où il me rencontre, il me fait mille et mille déclarations.

La Comtesse.

Mille et mille déclarations !… Il vous faut remercier le ciel, ma charmante ; l’année est bonne !

Marcelle.

Je veux dire, madame, qu’aussitôt qu’il me voit, — soit qu’il entre, soit qu’il sorte, sa bouche me révèle à l’instant tous les sentiments de son cœur.

La Comtesse.

Sa bouche révèle ses sentiments !… Et que vous dit-il ?

Marcelle.

Il me serait difficile de m’en souvenir.

La Comtesse.

Il le faut pourtant.

Marcelle.

Eh bien ! tantôt il me dit : « Ces beaux yeux me font mourir ! » tantôt : « C’est par ces beaux yeux que je vis ; toute la nuit dernière j’ai pensé à vous ; je voyais votre beauté, et je n’ai pu dormir. » Une autre fois il m’a demandé un seul de mes cheveux, me disant qu’il aurait seul la puissance de l’enchaîner à jamais. Mais pourquoi vous conté-je tous ces enfantillages ?