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JOURNÉE I, SCÈNE II.

Ricardo.

Je sais quelle est son adresse, et de ce côté-là je reconnais sa supériorité. Mais j’espère en vous et en votre justice pour imposer silence à ses prétentions.


Entre THÉODORE.
Théodore.

Vos ordres sont exécutés, madame.

Ricardo.

Si vous êtes occupée, je ne veux point vous dérober votre temps.

La Comtesse.

Ce n’est rien d’essentiel ; j’avais à écrire… à Rome.

Ricardo.

Rien n’est plus indiscret ni plus odieux qu’une longue visite un jour de courrier.

La Comtesse.

Vous êtes d’une discrétion admirable.

Ricardo.

Je désire vous plaire. (Bas, à Célio.) Eh bien ! que t’en semble ?

Célio.

Je voudrais qu’un amour tel que le vôtre fût déjà récompensé comme il le mérite.

Ils sortent.
La Comtesse.

Eh bien ! avez-vous fait cela ?

Théodore.

Tant bien que mal. Mais j’ai voulu vous montrer mon obéissance.

La Comtesse.

Voyons.

Théodore.

Lisez.

La Comtesse, lisant.

« Aimer parce qu’on voit aimer ne serait qu’envie, si déjà l’on n’aimait avant d’avoir vu aimer ; car celle qui avant d’aimer ne serait pas disposée à l’amour, n’aimerait pas par cela seul qu’elle verrait aimer. — L’amour qui voit au pouvoir d’autrui ce qu’il désire, se trahit aisément, car de même que dans une vive émotion les couleurs montent au visage, de même un sentiment violent se place malgré nous sur nos lèvres. Je n’en dis pas davantage et me défends d’être heureux ; car si je me trompais, ce serait offenser la grandeur du sein de la bassesse. Je ne parle que de ce que je comprends, et je ne veux point entendre ce que je ne mérite pas, de peur de donner à entendre que je crois le mériter. »

La Comtesse.

Vous avez fort bien gardé les convenances.