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LE CHIEN DU JARDINIER.

Théodore.

Je n’osais vous l’offrir.

La Comtesse.

À quoi bon le coin de ce manteau ?

Théodore.

C’est ainsi qu’Octavio vous la donne lorsqu’il vous accompagne à la messe.

La Comtesse.

Mais aussi quelle main ! C’est une main de soixante-dix ans, ridée, desséchée, et le drap qui la couvre est comme un drap mortuaire. Envelopper sa main pour la donner à quelqu’un qui tombe, c’est faire comme celui qui va revêtir sa cotte de mailles quand un ami réclame son épée ; lorsqu’il arrive l’autre est déjà mort. D’ailleurs c’est un usage qui ne m’a jamais plu, malgré la mode et le bon ton, et je pense que la main, comme le visage, doit se montrer à découvert, — quand c’est la main d’un galant homme.

Théodore.

Agréez mes remerciements de la grâce que vous me faites.

La Comtesse.

Si jamais vous remplissez l’office d’écuyer, alors, Théodore, vous pourrez offrir votre main enveloppée dans les plis d’un large manteau. Aujourd’hui vous êtes secrétaire ; et prenez-y bien garde, soyez discret sur ma chute, si vous-même ne voulez pas tomber.

Elle sort.
Théodore.

Puis-je croire que tout cela soit la vérité ? — Mais sans doute, Diane est femme, et lorsqu’elle m’a demandé la main, l’expression de la crainte s’est cachée sous les roses qui ont couvert son charmant visage. — Sa main a tremblé, je l’ai senti ; et, après mille hésitations, je me décide à suivre mon heureux destin, en rejetant bien loin toute vaine crainte, et en me confiant à mon courage. — Mais ne sera-t-il pas cruel d’abandonner Marcelle ? et une femme doit-elle recevoir un tel affront pour prix de ses bontés ? — Mais si de leur côté elles nous abandonnent quand il leur plaît pour leur intérêt, pour un nouveau caprice, nous pouvons les laisser mourir pour nous comme nous mourons pour elles.