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JOURNÉE I, SCÈNE II.

homme de condition inférieure. Si elle se déclare, elle se manque à elle-même ; si elle se tait, elle meurt de jalousie ; car ce jeune homme, qui ne se doute pas de cet amour, quoique d’ailleurs fort spirituel, est timide et craintif auprès d’elle.

Théodore.

Moi, madame, je n’entends rien à l’amour, et en vérité je ne saurais quel conseil vous donner.

La Comtesse.

C’est que vous ne le voulez pas. Comment dites-vous à Marcelle ? quelles sont les galanteries que vous lui adressez ? Oh ! si ces murs pouvaient parler…

Théodore.

Ces murs n’auraient rien à dire.

La Comtesse.

Oh ! vous rougissez, et ce que votre bouche nie ces couleurs subites l’avouent.

Théodore.

Si elle vous a conté quelque chose elle a eu tort. Je ne sais de quoi elle pourrait se plaindre. Une seule fois je lui ai pris la main, et encore l’ai-je eu bientôt abandonnée.

La Comtesse.

Oui, mais vous ne l’avez abandonnée sans doute qu’après y avoir déposé un baiser.

Théodore, à part.

Il faut que Marcelle soit folle. (Haut.) Une fois, il est vrai, j’eus la pensée de rafraîchir l’ardeur de mes lèvres sur le lis et la neige.

La Comtesse.

La neige et le lis ! je suis bien aise de connaître un tel remède contre l’inflammation des lèvres. Mais revenons. Que me conseillez-vous ?

Théodore.

Si cette dame aime un homme si fort au-dessous d’elle, et qu’elle doive être nécessairement dégradée par l’amour qu’elle a pour lui, eh bien ! qu’elle se déguise, et que par un artifice qui la préserve d’être reconnue…

La Comtesse.

Et si le jeune homme venait à avoir des soupçons !… Ne vaudrait-il pas mieux le tuer ?

Théodore.

Marc-Aurèle, dit-on, traita de la sorte un gladiateur aimé de l’impératrice Faustine. Mais il faut laisser de tels actes aux païens.

La Comtesse.

Alors il y eut une Faustine, mais il y avait aussi des Lucrèces, et l’on n’en voit plus aujourd’hui. — Vous pourrez m’écrire quelque chose là-dessus. — Ah ! mon Dieu ! je suis tombée !… donnez-moi la main.