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JOURNÉE II, SCÈNE II.

Théodore.

Pour que la réponse soit plus tôt faite.

Tristan.

C’est aussi par trop rigoureux.

Théodore.

C’est que, vois-tu, je ne suis plus le même.

Tristan.

En effet, messieurs les amants, vous êtes les apothicaires de l’amour. Papiers, ordonnances, billets doux, se suivent enfilés à la même aiguille. Récipé des soupçons jaloux, ou bien de fleurs de violettes ; — récipé des orgueilleux dédains ou bien de sirop de pavot ; — récipé une absence en guise d’emplâtre sur la poitrine, alors que vous auriez dû rester à la ville ; — récipé de matrimonium, ou une purgation de trente jours consécutifs avec de l’antimoine ; — récipé dans les boutiques des bijoux, des étoffes, des diamants, pour en faire des applications confortatives de l’amour. — Et après qu’une année durant tous les papiers ont été bien réunis, bien arrangés, le jour du payement arrive enfin, le malade est mort ou guéri, et l’on règle le compte en mettant au rebut tous les chiffons inutiles. Mais vous, vous avez eu tort de déchirer le mémoire de Marcelle sans en savoir le contenu[1].

Théodore.

Tu bois quelquefois, mon cher Tristan, et je crois que tu as bu aujourd’hui.

Tristan.

Et moi je croîs que non le vin, mais l’ambition vous a monté à la tête.

Théodore.

Tristan, chaque homme a dans sa vie un moment de bonne chance, et ceux qui ne savent pas en profiter sont des imbéciles, et, qui pis est, des imbéciles malheureux. Pour moi, ou je mourrai dans l’entreprise, ou je serai comte de Belflor.

Tristan.

Monseigneur, il existait un certain duc nommé César qui avait pour devise : « Ou César ou rien. » Après bien des succès le sort lui devint contraire, et alors un de ses ennemis écrivit sur son blason : « Tu voulais être César ou rien, et tu as été à la fois l’un et l’autre ; car tu es César et tu n’es rien. »

Théodore.

Malgré tes conseils, Tristan, je n’en poursuivrai pas moins mon entreprise ; et ensuite que la fortune fasse de moi ce qu’elle voudra.

Ils sortent.
  1. Ce couplet de Tristan est dans l’original un baragouin mêlé d’espagnol et de latin macaronique.