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JOURNÉE II, SCÈNE III.

Théodore.

Fut-il jamais un aussi grand malheur ? A-t-on jamais vu une résolution si prompte, un changement si soudain ? Voilà donc ce que sont devenus mes orgueilleux projets ! — J’ai osé prétendre à l’amour d’un ange, j’ai voulu m’élever jusqu’au ciel, et me voilà tombé dans l’abîme !… — Pourquoi la comtesse s’est-elle ainsi abusée sur ses vrais sentiments ?… Mais moi, pourquoi ai-je eu la faiblesse de croire à quelques paroles de douceur ? — L’amour ne peut pas exister entre personnes d’un rang inégal. — Mais qu’y a-t-il d’étonnant que ces beaux yeux m’aient séduit ? ils auraient séduit le plus sage. Ulysse lui-même n’eût pas su leur résister. — Ce qu’il y a de plus triste, c’est que je ne puis me plaindre que de moi-même. — Après tout, pourquoi me plaindrais-je ? qu’ai-je perdu ? Ne puis-je pas me figurer que j’ai eu un moment de délire, et que pendant ce délire j’ai rêvé, imaginé toutes ces folies ?… — Adieu, adieu, orgueilleuses et vaines pensées… Comte de Beldor, retournez, s’il vous plaît, la proue vers votre rivage accoutumé. Revenons modestement à Marcelle, elle doit me suffire, et laissons les grandes dames aux grands seigneurs. Orgueilleuses et vaincs pensées, dissipez-vous dans l’air où vous vous êtes formées ; et ne cherchons plus à nous élever trop haut, de peur de tomber une seconde fois.


Entre FABIO.
Fabio.

Eh bien, avez-vous parlé à la comtesse ?

Théodore.

Oui, je viens de lui parler, et je suis on ne peut plus content, parce que la comtesse se décide enfin à se marier. Elle hésitait entre ses deux adorateurs ; mais dans sa sagesse elle choisit le marquis.

Fabio.

Elle ne pouvait mieux choisir.

Théodore.

Elle m’a chargé de lui en porter la nouvelle, et l’on doit s’attendre à un riche présent ; mais comme je suis votre ami, Fabio, je vous abandonne ce message. Allez, allez vite.

Fabio.

Je ne doutais pas de votre amitié, et votre conduite actuelle me prouve bien que j’avais raison. Je voudrais pouvoir la reconnaître. Je pars, et je reviens bientôt vous remercier, et me réjouir avec vous de ce qui se passe. — Ma foi, vive le marquis ! il n’y avait que lui pour décider la comtesse.

Il sort.


Entre TRISTAN.
Tristan.

Je viens, tout troublé, vous chercher. Ce que l’on m’a dit est-il vrai ?