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LE CHIEN DU JARDINIER.

La Comtesse.

Eh bien, adieu. — Mais non, attends, écoute.

Théodore.

Qu’ordonnez-vous ?

La Comtesse.

Rien. Pars.

Théodore.

Je m’éloigne.

La Comtesse, à part.

Je me meurs ! Y a t-il tourment égal à celui que j’endure. (Haut.) Eh bien ! vous n’êtes pas parti ?

Théodore.

Je m’en vais, madame.

Il sort.
La Comtesse.

Honneur, honneur, maudit sois-tu ? Détestable invention des hommes, tu renverses les lois de la nature ; et je ne sais si ton frein est aussi juste, aussi utile qu’on le prétend. Malheur sur celui qui t’inventa !


Entre THÉODORE.
Théodore.

Je viens savoir si je pourrai partir dès aujourd’hui ?

La Comtesse.

Je ne le sais pas plus que vous. Mais pourquoi êtes-vous revenu ? Vous ne devinez donc pas que votre vue me fait souffrir ?

Théodore.

Je ne puis m’éloigner, madame. C’est par vous que j’existe ; ma vie, mon âme sont là où vous êtes, et j’ai peine à quitter ma vie et mon âme.

La Comtesse.

Pars, je t’en supplie. L’amour lutte contre l’honneur, et ta présence lui donne trop d’avantages. Éloigne-toi de grâce, Théodore. Songe que si tu laisses ici une partie de ton être, tu emportes avec toi une partie de moi-même.

Théodore.

Que Dieu conserve votre seigneurie !

Il sort.
La Comtesse.

Maudite soit ma seigneurie qui m’empêche d’être à celui que j’aime ! — Me voilà seule ; il est parti celui qui était la lumière de mes yeux. Qu’ils s’affligent sur leur infortune. — Ils ont eu tort de regarder, et il est juste qu’ils pleurent[1].

  1. Il y a dans le texte trois petits couplets finissant par le même refrain : qu’ils s’affligent sur leur infortune, etc. etc.