Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/31

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consulter les devineresses, ni les vieillards qui se teignent les cheveux, ni enfin les hommes qui parlent mal des femmes, ingrats envers le sexe auquel ils doivent leur mère.

Rieur et malin, habile à lancer le trait, jamais, quoique souvent attaqué, il n’a composé de satire. « J’ai toujours détesté la satire, dit-il dans une de ses comédies. Une satire, selon moi, fait plus de tort à son auteur qu’à ceux contre qui elle est dirigée. Ce genre d’ouvrages ne convient qu’aux méchants[1]. » Et dans son Nouvel art dramatique : « Piquez, dit-il aux poëtes, mais ne blessez pas ; car celui qui outrage ne doit attendre ni faveur dans le présent, ni renommée dans l’avenir. » Et après tout, qui aurait-il attaqué ? « J’aime ceux qui m’aiment, disait-il un jour à Montalvan, et je ne hais pas ceux qui me haïssent. »

Non content de s’interdire tout écrit satirique, il prenait plaisir à placer dans ses comédies l’éloge de tous les hommes qui, soit dans les lettres, soit dans les arts, soit dans les sciences, soit dans la politique ou la guerre, avaient ajouté quelque chose à la gloire de la patrie. C’était à ses yeux un devoir civique. Il cherchait toutes les occasions de l’accomplir, et s’en vantait. Mais nul de ses compatriotes n’a été plus loué par lui que Cervantes, le seul de ses rivaux qu’il pût sérieusement redouter. Il le regardait comme un maître d’éloquence, le mettait sur la ligne d’Homère et de Virgile, et rappelait sans cesse de la manière la plus flatteuse la glorieuse blessure que le grand écrivain avait reçue à Lépante. « Bien qu’il n’ait qu’une main, dit-il quelque part, il a écrit pour l’immortalité[2]. » Il est vrai de dire que ces éloges, Cervantes, en homme généreux, les lui a bien rendus.

Jamais pauvre ne frappa à sa porte sans obtenir quelque secours ; seulement, afin de ne pas perdre trop de temps, il avait la précaution de tenir toujours prête sur sa table de travail la monnaie qu’il voulait distribuer. Venait-il un vieux

  1. Voyez la Viuda de Valencia.
  2. Dans la notice qui précède sa belle traduction de Don Quichotte, M. Viardot, parlant de l’effet produit par l’apparition du Don Quichotte, dit que Lope « eut la courtoisie d’avouer que Cervantes ne manquait ni de grâce ni de style. » Je supplie M. Viardot, au nom de Lope, de vouloir bien m’accorder une légère rectification sur ce point, dans quelqu’une des prochaines éditions du Don Quichotte français.