Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que nous soyons heureux de ce mutuel amour. Car une femme qui n’éprouve que de l’indifférence, fût-elle d’ailleurs d’une beauté parfaite, doit paraître bien laide à l’homme qui la tient dans ses bras ; et peut-être te deviendrais-je odieuse autant qu’en ce moment je te parais aimable, par la même raison qu’une laide paraît belle quand elle aime. C’est pourquoi rends-moi des soins, fais ma conquête, gagne mon cœur par ces bons traitements qui finiront par le soumettre ; et pour satisfaire ton caprice, ne perds pas le bien si doux que l’on trouve dans l’amour partagé. — À quoi penses-tu ? Est-ce que ma demande te déplaît ?

Dulcan.

Je m’attendais à ta conduite. Mon offense l’a méritée, et je ne puis m’en plaindre. Celui qu’on te donnait pour époux est mon ennemi mortel ; et je triomphe de lui avoir causé ce chagrin ; car il n’est pas de peine plus grande pour un homme que de se voir enlever sa femme ; il souffre alors tout à la fois dans son orgueil et dans son amour. — Mais afin que tu ne me regardes pas comme un barbare, je m’engage, Tacuana, à me conduire avec toi selon tes vœux. Je me contenterai de te rendre des soins alors que je pourrais te posséder ; et se vaincre ainsi est la plus grande preuve d’amour. J’attendrai donc un mois, un an, un siècle, s’il le faut, et si je souffre dans cette longue attente, ta vue me dédommagera. Mais songes-y, ne cherche pas à m’échapper ; et afin que je vive en repos là-dessus, et pour te lier toi-même, fais-moi le serment de ne jamais t’enfuir.

Tacuana.

Par notre divin Ongol, représentant du soleil, je jure de ne te quitter jamais.

Dulcan.

J’accepte ta parole.

Auté.

Debout ! debout, Dulcan-Quellin !

Dulcan.

Quel est ce bruit, Auté ?

Auté.

Lève-toi de ton lit nuptial ; car j’ai vu apparaître sur le haut de la colline un homme armé.

Dulcan.

Un homme seul peut t’effrayer ?

Auté.

Prépare-toi, car cet homme vient disposé à la guerre ; et lorsqu’un homme est armé il ressemble au nuage qui renferme la tempête.

Dulcan.

Tu as raison, ami. Va voir qui est cet homme ; car souvent celui