Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagne d’alors est dans les comédies et dans les romans, comme la France du dix-septième siècle est dans les mémoires.

Il peint avec le même talent les caractères, surtout les Espagnols, soit du moyen âge, soit des temps modernes. Rois, princes, grands seigneurs, grandes dames, étudiants, militaires, toute la société de son temps vient figurer dans ses comédies. Il a quelquefois placé dans ses pièces des personnages dont il fait les représentants d’une certaine classe[1] ; mais le plus souvent, et presque toujours, ce sont des individualités vivement esquissées. Qu’il me soit permis de montrer, par un ou deux exemples, comment il les met en scène.

Un célèbre critique allemand, dont j’admire profondément l’esprit et l’éloquence, et à qui je reprocherai seulement, quand il parle des Espagnols, de substituer trop souvent son imagination, sa fantaisie à la réalité, M. Schlegel s’est fort moqué quelque part des critiques qui font des citations, et, à ce propos, il rappelle ce conte d’un ancien rhéteur, lequel les comparaît à un homme qui montrait un fragment de marbre comme échantillon de sa maison. Rhéteur, distinguons. Si votre homme avec son marbre prétendait donner une idée de l’ordonnance et de la grandeur de sa maison, j’en conviens, il était fou. Mais avait-il tort s’il voulait prouver seulement que sa maison était de marbre et non de brique ?

La scène que je vais traduire est un rachat de captifs[2], sujet que les dramatistes espagnols semblent avoir affectionné, et qui excitait au plus haut point l’intérêt de leurs compatriotes. Nous sommes à Constantinople vers 1570. Nous sommes sur la place du marché. Arrive un homme, un marchand qui sert d’intermédiaire à un religieux rédempteur de la Trinité, et chargé par lui de racheter un certain nombre de captifs. Cet homme est aussitôt entouré par une foule de malheureux, lesquels s’efforcent d’attirer son attention.

Premier captif.

Seigneur, ayez pitié d’un pauvre malheureux qui a été quatorze ans captif, soit à Tripoli, soit dans cette ville.

Deuxième captif.

Et moi, seigneur, ne m’oubliez pas. Je suis sans ressources, et

  1. Voyez la Dama melindrosa, el Desconfiado, et los Hidalgos de la aldea.
  2. Voyez la pièce intitulée la Sainte ligue (la Santa liga).