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Don Lope.

Que je me fais fort de mettre, à moi seul, tous les Turcs à la raison, et qu’avec votre altesse ce ne sera qu’un tour de main.

Don Juan d’Autriche.

Eh bien ! en avant ! suivons le noble marquis !

Plusieurs voix.

Oui ! suivons le marquis ! L’opinion qu’il a exprimée est celle d’un cœur généreux.


Nous croirions faire injure à l’intelligence et au goût de nos lecteurs en leur indiquant tout ce qu’il y a dans cette scène de grand et d’homérique. Nous nous contenterons d’observer que de ces personnages, ceux que nous connaissons le mieux sont représentés d’une manière conforme à l’histoire ; que Lope avait connu personnellement plusieurs d’entre eux, et qu’en particulier, il avait dans sa jeunesse servi sous le marquis de Santa-Cruz, auquel il attribue un si beau rôle ; enfin que, dans sa pensée, ce conseil de guerre fut tenu peu de jours avant la bataille de Lépante, qui est en quelque sorte le dénouement de la pièce[1].

Après cette admirable scène, je pourrais me dispenser de rien ajouter pour montrer l’élévation du talent de Lope. Mais je veux faire voir de quelle manière idéale il savait peindre la passion de l’amour.

Voici la position. Un vieux chevalier du moyen âge espagnol, le noble et vaillant Gonzalo Bustos, est allé vers le roi maure de Cordoue, chargé d’un message par son beau-frère Ruy Velasquez, lequel s’entend avec le roi maure. Gonzalo Bustos, à peine arrivé à Cordoue, est emprisonné. Dans sa prison le vieux chevalier se lamente, lorsque la porte s’ouvre, et il voit entrer une jeune Morisque d’une rare beauté : c’est la sœur du roi de Cordoue, nommée Arlaja. Alors s’engage la scène que voici[2] :


Arlaja.

N’êtes-vous pas chrétien, vous qui êtes prisonnier du roi mon frère ?

Bustos.

Oui, pour mon bonheur, je suis chrétien ; mais, pour mon mal-

  1. Outre ces deux scènes, la Santa liga contient d’autres beautés du premier ordre. Cependant nous avons dû renoncer à traduire cette comédie, l’ensemble ne nous en ayant point paru satisfaisant.
  2. Cette scène est traduite d’une pièce intitulée El bastardo Mudarra,