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jour, ne vous en inquiétez pas, bien que ce soit l’avis d’Aristote : nous avons déjà décliné son autorité en mêlant ensemble tragédie et comédie. Contentons-nous de la renfermer dans le temps le plus court qu’il nous sera possible, à moins toutefois que le poëte ne compose une histoire durant laquelle s’écoulent plusieurs années ; et dans ce cas il pourra placer les intervalles de temps dans les entr’actes ; comme, aussi bien, si quelqu’un de ses personnages a un voyage à faire. Ces libertés, je le sais, révoltent les connaisseurs ; eh bien, que les connaisseurs n’aillent pas voir nos pièces !

Combien de ces gens-là se signent d’effroi en voyant qu’on donne plusieurs années à une action qui devrait s’accomplir dans le terme d’un jour artificiel, car on ne voulait pas même nous accorder les vingt-quatre heures ! Pour moi, considérant que l’avide curiosité d’un Espagnol assis au spectacle ne peut être satisfaite qu’on ne lui représente en deux heures tous les événements depuis la Genèse jusqu’au jour du jugement dernier, je trouve que si notre devoir est de plaire aux spectateurs, il est juste que nous fassions tout ce qu’il faut pour atteindre ce but.

Une fois le sujet choisi, écrivez votre pièce en prose et divisez-la en trois actes, en faisant vos efforts pour que chaque acte n’embrasse, s’il est possible, que l’espace d’un jour. Le capitaine Viruès, illustre écrivain, mit en trois actes la comédie, qui auparavant allait à quatre pieds comme un enfant, d’autant qu’elle était encore dans l’enfance[1]. Moi-même, vers l’âge de onze à douze ans, j’en écrivis en quatre actes et en quatre feuilles, car chaque acte était contenu dans une feuille de papier. Alors on jouait dans les intervalles des actes trois petits intermèdes ; et à présent tout au plus si l’on en joue un, lequel est immédiatement suivi d’une danse. La danse, d’ailleurs, va si bien dans la comédie qu’Aristote l’approuve, et qu’Athénée, Platon, Xénophon, ne la blâment que lorsqu’elle n’est pas décente, comme celle

  1. Montalvan, dans la Fama postuma, attribue à Lope cette innovation ; d’un autre côté, Cervantes, dans la préface de ses comédies, s’en fait honneur à lui-même. Lorsque nous écrirons la notice qui précédera les chefs-d’œuvre dramatiques de Cervantes, et que nous tracerons l’histoire du théâtre espagnol, nous expliquerons comment l’auteur de Don Quichotte et Montalvan ont pu l’un et l’autre se tromper de bonne foi.