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Célia.

Comment pouvez-vous en avoir, puisque vous êtes adoré ?

Lucindo.

Je crains de perdre une si précieuse tendresse.

Célia.

Taisez-vous, ingrat ! — J’aurais bien voulu vous trouver couché à cause d’un certain présent que je vous apporte ; mais ce vieil imbécile qui n’entend et ne voit goutte s’est levé à midi, croyant se lever à cinq heures du matin.

L’Écuyer.

Vous rejetez toujours sur moi la faute de votre négligence.

Lucindo.

Que m’apportes-tu donc, ma chère Célia ?

Célia.

Je vous apporte six chemises de la plus fine toile de Hollande. (Elle prend le panier des mains de l’écuyer et en sort des chemises.) Tenez, voyez comme c’est beau, cela ! et, de plus, c’est l’ouvrage de l’aiguille la plus habile et de la main la plus délicate.

Lucindo.

Il est facile de le voir à la blancheur du linge.

Célia.

Voici un cœur en guise de chiffre.

Lucindo.

Quel est ce cœur ?

Célia.

C’est celui de la personne qui vous a donné le sien. Vous l’avez percé de plus de pointes qu’il n’y a de points dans son travail… Elle m’avait ordonné de vous en essayer une, et de vous dire que son plus vif regret était de ne pouvoir vous servir de chambrière. Elle m’a recommandé, en outre, de vous embrasser de sa part.

Lucindo.

Avec plaisir, Célia. (Il l’embrasse.) Quant à ton adorable maîtresse, dis-lui bien que je ne tarderai pas d’aller déposer mille baisers sur ses pieds plus blancs que l’aurore. — Va, Tristan, va chercher cette pièce de taffetas de couleur amarante, afin que Célia la porte à ma beauté céleste. L’éclat de son teint n’en ressortira que mieux.

Tristan.

Je vous obéis.

Célia.

Non, Tristan, arrêtez. Si je m’avisais d’emporter d’ici la moindre chose, on me tuerait.

Lucindo.

Quelle bizarrerie ! cela n’est pas bien à Phénice. Ceux qui aiment ont du plaisir à donner. Pourquoi ne me permettrait-elle pas de lui offrir un faible gage d’amour ?