Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Célia.

Que voulez-vous ? c’est son idée. Vous pourrez plus tard l’en gronder à votre aise, quand vous serez tête à tête avec elle.

Lucindo.

Puisqu’elle est de cette humeur, tu accepteras, toi, du moins, quelques écus.

Célia.

Grand merci ! il m’est défendu de rien recevoir de vous.

Lucindo.

Personne ne le saura.

L’Écuyer.

Les murs voient et entendent, et ils le diraient.

Lucindo.

Quelle femme, Tristan !

Tristan.

Je veux peindre un tableau dans l’air, je veux construire un palais sur la pointe d’une aiguille, je veux élever une montagne avec les atomes qui se jouent aux rayons du soleil, puisque j’ai trouvé une femme qui n’aime pas l’argent. J’aurais cru, à toute force, qu’un avocat, un médecin, un procureur, un alguazil, un barbier, un chirurgien, avaient refusé de l’argent ; mais ce qui m’étonne, ce qui me passe, ce qui m’épouvante, c’est de voir des écus refusés par une respectable duègne et par un vénérable écuyer.

Lucindo.

C’est Phénice qui a ainsi formé ses gens. — Dis-lui, Célia, que j’irai la voir dans la soirée, et que je la prie de m’attendre avec la moitié de l’empressement avec lequel j’irai chez elle.

Célia.

Je cours lui annoncer cette heureuse nouvelle.

Lucindo.

Que le ciel te garde, Célia ! — Mais pourquoi me regardes-tu de la sorte ?

Célia.

Ma maîtresse m’a recommandé de bien observer votre visage pour voir si vous aviez été sage cette nuit.

Lucindo.

Quoi ! elle serait jalouse ?

Célia.

Vous avez une mauvaise réputation.

Lucindo.

Non, mais elle m’aime.

Célia.

Beaucoup trop, hélas ! mais vous lui pardonnerez bien quelques soupçons. Elle souffre tant, la pauvre !

Lucindo.

Je sais tout ce que je lui dois. Adieu.