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Célia.

Adieu.

Célia et l’Écuyer sortent.
Lucindo.

Eh bien, Tristan ?

Tristan.

Ma foi ! Vous êtes né coiffé[1].

Lucindo.

En effet, je suis un heureux mortel.

Lucindo et Tristan sortent.



Scène II.

Le Port.


Entrent ALBANO et CAMILO.
Camilo.

D’où vient que vous faites tant de signes de croix ?

Albano.

Il y a bien de quoi, certes, après avoir vu sa tournure andalouse.

Camilo.

Vous pensez donc que c’est une femme ?

Albano.

Si ce n’est pas une femme, moi je suis un fou.

Camilo.

Ce n’est pas beaucoup dire.

Albano.

Si fait ! car à présent je n’ai plus rien à perdre que l’esprit.

Camilo.

Vous ne voyez donc pas que c’est une véritable extravagance de soutenir qu’un jeune homme est une femme ?

Albano.

J’ai des raisons pour cela… — Personne ne peut vaincre sa destinée… Dans la plus belle de toutes les villes que le soleil éclaire en Europe, à Séville, dans la rue qu’on appelle la rue des bains de la reine Morisque, c’est là que Dinarda naquit. Un seul mot suffira pour vous faire juger de sa beauté : c’est que la première fois que je la vis, l’idée me vint qu’elle seule aurait pu inspirer au fameux peintre Zeuxis un portrait digne d’Hélène. Je lui rendis des soins : je me promenai, je rôdai autour de sa maison, je lui envoyai des messages par l’entremise de quelques vieilles complaisantes ; et ce ne fut qu’après plus d’un an d’assiduités continuelles que j’obtins qu’elle daignât m’écrire. Voilà d’ailleurs tout ce que j’ai eu jamais d’elle ; en laisser entendre davantage, ce serait outrager sa vertu et la vérité. Ainsi tout cet amour consista en lettres purement

  1. Littéralement : « Vous êtes né par les pieds. »