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FONTOVÉJUNE.

(FUENTE OVEJUNA[1].)


NOTICE.


Fontovéjune est le nom d’une petite ville d’Espagne, située au bord et près des sources du Guadiato, sur les confins du royaume de Cordoue, de l’Estramadure et de la Manche. Quand on aura lu cette pièce, on comprendra pourquoi le poëte a donné un nom de ville pour titre à sa comédie.

Avant d’examiner l’ouvrage de Lope, il y a quelques faits historiques qu’il nous semble utile de rappeler.

Nous sommes en l’année 1475, c’est-à-dire au milieu de la seconde moitié de ce quinzième siècle, qui fut marqué dans tous les états de l’Europe, et principalement en Espagne, par les dissensions intestines et les guerres civiles. Depuis plusieurs années, le roi de Castille Henri IV, surnommé le Faible ou l’Infirme (el Enfermo) a été déposé ; sa fille Jeanne cherche, mais avec peu de succès, à faire triompher ses droits ; Isabelle et Ferdinand d’Aragon sont déjà maîtres de la Castille presque entière, et ils régneraient dès lors sur toute l’Espagne chrétienne, si l’infante Jeanne n’avait dans son parti quelques puissants seigneurs, au nombre desquels se trouvent le fameux marquis de Villena et le grand maître de Calatrava. — Nous allons maintenant laisser parler une vieille chronique, de laquelle Lope a emprunté l’idée première de sa comédie.

« Le grand maître réunit à Almagro trois cents hommes à cheval, tant chevaliers que laïques, et deux mille hommes de pied. Il attaqua Ciudad-Réal… La ville se mit en défense, et cette guerre coûta beaucoup de monde aux deux partis. Enfin il prit la ville, ainsi que cela résulte d’écrits authentiques, quoique les habitants le nient. Il la conserva plusieurs jours, fit couper la tête à quelques uns de ceux qui avaient proféré des paroles injurieuses contre lui ; d’autres du bas peuple furent fouettés et eurent la langue tenaillée.

 » Les habitants de Ciudad-Réal se plaignirent au roi et lui demandèrent du secours, n’ayant dans la ville, disaient-ils, aucun particulier assez riche pour se mettre à leur tête, à cause que leur territoire, fort resserré, était borné de tous côtés par les possessions de l’ordre. Le roi, craignant que s’il laissait cette place au grand maître, elle ne facilitât les opérations du roi de Portugal, qui était en Estramadure, envoya don Diègue Fernandes de Cordoue, et don Rodrigue Manrique, comte de Paredes, grand maître de Saint-Jacques, pour reprendre Ciudad-Réal. Don Rodrigue Giron défendit en personne cette place ; il combattit vaillamment à l’entrée de la ville et dans les rues, le lieu n’étant pas fortifié, et n’ayant qu’un faible mur d’enceinte ; mais après des pertes considérables d’une et d’autre part, les chevaliers de Calatrava furent forcés à se retirer. Les deux capitaines restèrent longtemps dans une partie

  1. Le nom de Fuente-Ovejuna revenant fréquemment dans la pièce, nous avons cru devoir le franciser. Les noms de la plupart des villes d’Espagne ont été francisés de la même manière. Je citerai seulement comme exemple Fuenterrabia, dont nous avons fait Fontarabie.