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Le Passeur


Quand vint à l’homme la curiosité de connaître son âge, et qu’on lui eut fait voir le registre de sa vie avec l’addition de ses jours qui faisaient quatre-vingts ans, il fut d’abord moins effrayé de ce qu’il allait lui falloir bientôt mourir que de l’imprévu de sa vieillesse.

Il ne se savait pas rendu si loin. Il avait avancé dans la vie sans regarder devant lui, à la manière du rameur qui connaît bien le parcours et qui ne se retourne pas vers l’avant, tout occupé qu’il est du mouvement de ses bras. Aussi, se retourna-t-il brusquement vers ce qu’il lui restait à vivre, quand il eut senti par tout son corps la secousse de l’anticipation de la fin, quand il sut la vieillesse subite qu’il devenait.

L’homme n’avait jamais eu d’autre métier que celui de passeur, et pour gîte, la bicoque aussi vieille que lui, sur l’autre rive, tout au bord de l’eau, en face du village.

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