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Page:Loranger - Les atmosphères.djvu/9

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C’était une vie organisée avec un bac et une chaloupe : une raison d’être qui est la route dont il avait fonction de continuer l’élan par-dessus la rivière. Il était une espèce de batelier de la route. Il passait les piétons dans une petite chaloupe blanche qu’il maniait à la rame ; un grand bac rouge, guidé d’une rive à l’autre par un fil transversal, servait aux voitures et aux charges lourdes.

Il causait peu, ce qui avait éloigné de lui les sympathies.

Le bonhomme était lent dans son travail, mais assidu. Si un attelage sonnait sur la route, il sortait sans se hâter de sa sieste qu’il prenait à sa porte, et allait à son poste à l’avant du bac, le dos courbé et les mains sur le fil, prêt à tirer. Quand la voiture était débarquée, il se faisait payer, puis se remettait à tirer le fil sans rien dire. Le bac rejoignait lentement l’autre rive, avec son petit bruit tranquille de papier froissé que faisait sous les panneaux l’eau qui se frisait. Puis l’homme reprenait sa sieste, immuable.

Ainsi donc, à toute la longue vie que l’homme reconnut avoir été, quand il en apprit la durée, vint-il

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