Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/10

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À quoi mon ami Serge, accoudé sous le rond doucement lumineux de la lampe, une haute lampe-phare ennuagée de souples étoffes claires et de dentelles, d’une élégance un peu trop féminine dans ce sévère et somptueux appartement de garçon, répondait d’une voix dolente :

— Oui, je connais cela, j’ai passé par là, les étreintes au cœur, douloureuses et lentes, à croire qu’une main s’est glissée sous votre côté gauche et vous y comprime et vous y serre insensiblement, peu à peu, mais d’une pression sûre, atroce, torturante, et que l’on va mourir ; l’angoisse des insomnies dans le grand lit solitaire avec la peur du retour de la crise vous martelant les tempes, la volonté de résister aux petits pincements au cœur qui vous l’annoncent, l’éther bu à pleines gorgées et toute la nuit passée frémissant, obsédé, halluciné presque, le front brûlant, la peau moite et les extrémités glacées, avec à la fois la terreur d’y rester et le vague désir que cela en finisse une bonne fois. Oui, j’ai connu tout cela. Et les troubles de l’ouïe et les troubles de la vue : les pas qu’on entend marcher dans la muraille, ceux qu’on entend s’arrêter sous la fenêtre avec la conviction que quelqu’un, qui vous en veut, est là,