Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/11

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et les rideaux des croisées qui s’ouvrent brusquement pour laisser entrer dans la chambre agrandie l’horrible clarté de la lune, ces rideaux qu’on voit non seulement remuer, mais dont on entend la soie se déchirer et frémir sous les mains de l’invisible, cette chambre enfin que j’ai dû quitter parce que je ne pouvais plus y vivre, parce que j’y étouffais sous un plafond trop bas entre des murs hantés, cette chambre où, passé minuit, je ne pouvais plus demeurer seul, les lampes même allumées, la lumière y faisant des jeux par trop bizarres et les ombres se tassant, vraiment par trop étranges et pleines de menaces, dans les plis des draperies et l’obscurité des coins.

Et tout cela pour m’être pendant deux mois énervé dans l’imbécile attente d’une femme qui ne rentrait pas ! Tiens ! vois-tu là, au coin de la petite place, ce réverbère dont la lueur tremble et fait flaque sur le bitume mouillé du trottoir ? J’avais le même effet de lumière, le même bec de gaz dans mon appartement de la rue Saint-Guillaume, à croire qu’ils m’ont suivi jusqu’ici ! Eh bien, quand je vois cette lueur triste brûler, comme une âme captive, dans cette rue solitaire et pluvieuse de novembre, la conviction me