Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/112

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C’est que Rosario est, hélas ! fort souffrante. Depuis le départ de son père elle change, elle est changée et même fort changée, la pauvre petite : les traits se sont altérés, les lèvres si rouges ont pris un ton violâtre, la cernure des yeux, comme gouaches de kolh par l’ombre des cils, s’est creusée davantage : elle a perdu jusqu’à cette saine odeur de framboise qu’exhale la santé chez les adolescents. Seulement, toujours plus caressante, plus câline elle est plus que jamais la mendiante de baisers. Devant ce teint de cire tout à coup allumé de rougeurs aux pommettes, devant ces yeux de fièvre et cette bouche violacée la Barnarina s’est enfin alarmée : « Mais ce n’est rien, chérie ! » avait beau dire l’enfant ; la Barnarina a consulté.

La consultation a été expresse, ç’a été un arrêt de mort pour la mère, une énigme pour Rosario : « Vous aimez trop cette enfant, madame, et cette enfant a trop appris à vous aimer ; vous la tuez de vos caresses. »

La Barnarina a compris. Du jour au lendemain, elle a sevré l’enfant de baisers et d’étreintes ; courageuse, elle est allée de médecins en médecins, chez les obscurs et chez les célèbres, les empiriques et les homéopathes. Tous ont