Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/149

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— Hé bien ! mon pauvre Pierre ? et je m’arrêtai, tout impressionné de me sentir des larmes dans les yeux et un tremblement dans la voix.

— Ah ! monsieur, faisait-il, et il détournait la tête puis, sans m’en dire davantage, il m’introduisit au salon en balbutiant : « Madame la comtesse est là. »

Lady Viane était en effet là, dans ce salon de vieilles tapisseries de la maison de Claudius, ce salon que je connaissais depuis mon enfance et où j’avais vu la mère de Claudius rebroder elle-même au métier tous les coussins de soie ancienne traînant sur les meubles, le brocart rose du dessus de piano et jusqu’aux personnages au petit point des fauteuils Louis XVI ; la mère de Claudius, blonde et grande jeune femme qu’on appelait à Mointot la jolie Mme Aiguor, une sorte de martyre ignorée morte à trente-huit ans de chagrin et d’ennui, de la province même, entre un mari égoïste et brutal, de vingt ans plus âgé qu’elle, et un fils adoré, mais qui la désolait, trop compliqué, trop en dehors pour qu’elle, la droiture même, pût le comprendre. La vue de Lady Viane debout dans ce salon me révolta. Comme les mères ont tort de partir, surtout les mères de poètes. La comtesse Ethe-