Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le même jour, à quatre heures, après m’être arrêté à la ferme, le temps d’y donner des ordres au cas d’y devoir transporter Claudius, je sonnais à la petite maison du quai des Pilotes.

Chose étrange, j’étais triste et j’avais l’esprit égayé par la vue de tous les terre-neuviers du port, voiles aux vergues, banderoles aux mâts, cargués, lestés, prêts à partir pour la grande pêche. Pauvres bateaux marchands à l’aspect conquérant, ils étaient là rangés le long des bassins, mettant au bord des quais une gaieté de fête, comme une envolée d’aventure et de joyeux départ pour des pays qu’on se figure plus chauds, plus hospitaliers et plus bleus que les nôtres, parce qu’ils sont lointains, inconnus ! L’âme des grands voyages flottant dans les hunes souriait ce jour-là, épandue sur la vieille ville et sur le port. Le long des jetées, des gens endimanchés, des marins déjà gris se pressaient, se poussaient. La pensée de Claudius, dolent et malade au milieu de la gaieté de ce pays si rarement gai, me navra. Je dus sonner d’une main distraite, car on ne vint pas à mon premier appel. La seconde fois, Pierre, son valet de chambre, vint m’ouvrir.