Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est cendre et poussière dans la bouche, sous les dents demeurées gourmandes des sensations à jamais disparues. Vivre comme je le fais depuis trois mois, ce n’est pas vivre, mais se survivre. Il y a des heures où je suis las de veiller un cadavre.


23 Juin. — Il faut que je m’en aille. Hier matin, j’étais allé la voir comme je le fais souvent, attiré parle voisinage, par flânerie, et là, dans son petit jardin abandonné aux poules et aux ébats de ses deux chiens, un jardin sans fleurs, envahi de grandes herbes avec, dans un angle, l’inattendue floraison de tout un plan de lys, de grands lys blancs à l’odeur entêtante et douce et mettant là, contre le mur aveuglant de soleil, l’ombre élancée de leurs tiges vertes, je l’ai trouvée assise, nu-tête, avec sa chevelure garçonnière et brune emmêlée sur son front rond, en train d’étudier un rôle pour le Théâtre-Libre.

Elle s’est levée pour me tendre la main avec le « comment va le cœur aujourd’hui ? » dont elle accueille mes visites, car elle est au courant de mes peines et j’ai vu alors qu’elle avait