Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/50

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de la race qui parle en maîtresse en moi et m’a repris tout entier à son charme ? Mais je suis comme un homme ivre ; le sens de la douleur s’est-il émoussé ? mais, à la fois indifférent et dans l’extase, je marche dans un recul de visions tel que, sur ce vieux quai de l’Amirauté où j’habite, tout me parle d’une ville d’un autre âge ; la réalité des choses m’échappe et, devant ces vieilles maisons aux façades d’ardoises, aux étroites fenêtres sans contre-vents, je me surprends à songer d’un Havre de vieille estampe, d’un beau Havre de Grâce du temps de la Régence, à l’époque des Angot de Dieppe et des Indes galantes ; et des noms chantent dans ma mémoire : Pondichéry, Bombay et Lally-Tollendal.

L’hôtel de la Marine, avec ses entablements de pierre poussiéreux de trois siècles, aide à la reconstitution de mon rêve, et ce sont des femmes en paniers de gros de Tours jonquille, à la taille amincie comme un corset de guêpe, que fixent mes yeux visionnaires au lieu des pratiques excursionnistes rencontrées sur ces quais, longues et droites comme des parapluies anglais dans leur manteau caoutchouté de voyage.