Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore atterré par ce qui m’arrive. Toute la région comprise entre Médan et Maisons-Laffitte, tout ce coin de grande banlieue, où j’ai vécu il y a deux ans les premiers mois de cette liaison douloureuse et dont j’étais arrivé à redouter l’évocation même en souvenir, je viens de la traverser en chemin de fer, le bras nonchalamment pendu à l’embrasse de la portière, la cigarette aux lèvres ; et devant ces paysages connus, si souvent parcourus ensemble et pour ainsi dire tout remplis d’elle, je n’ai pas eu un heurt, pas un tressaillement. Rien, rien n’a remué en moi et ces rives familières, ces berges, où parmi ces frissonnements de trembles viennent mourir des pelouses de grands parcs, ces parcs eux-mêmes si souvent visités avec elle durant les longues journées de juillet et hier apparus dans la rapidité d’un éclair, au-dessus de leurs murs en contre-bas de la voie, je les ai regardés fuir et défiler devant moi, curieux d’une émotion que j’attendais et qui n’est pas venue, et je rentre ici plus morne et plus las que jamais sans la cruelle et délicieuse déchirure au cœur, dont j’escomptais presque la catastrophe et par laquelle auraient suinté goutte à goutte et ma veulerie et mon ennui.