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Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/172

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vif avec je ne sais quelle délicieuse sensation d’impondérable, l’éther aujourd’hui me rompt bras et jambes, et j’ai gardé pendant trois jours dans tous les membres une véritable courbature, la dernière fois, il y a un an de cela, que j’en ai respire.

Au reste, pourquoi en prendrais-je ? Je n’ai plus ni insomnies ni étreintes au cœur. Ces gonflements et ces lourdeurs d’éponges sous le côté gauche, ces atroces sensations d’agonie qui me dressaient brusquement sur mon lit avec, sur toute ma chair moite, le frisson de la petite mort, tout cela n’est plus pour moi qu’un lointain cauchemar, comme un vague souvenir des contes d’Edgar Poe qu’on aurait lus dans son enfance, et vraiment, quand je songe à cette triste période de mon existence, je crois l’avoir moins vécue que rêvée.

Et pourtant, il faut que je parte, je retomberais malade dans ce Paris fantomatique et hanté de novembre ; car le mystérieux de mon cas, c’est que j’ai la terreur non plus de l’invisible, mais de la réalité.

— De la réalité ?

Et comme j’appuyais intentionnellement sur les mots, un peu dérouté par ce dernier aveu :

De la réalité ! répétait Serge en scandant chaque syllabe, c’est dans la réalité que je deviens visionnaire. Ce sont les êtres en chair et en os rencontrés dans la rue, c’est le passant, c’est la passante, les anonymes même de la foule coudoyés qui m’apparaissent dans des attitudes