Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/175

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cour de la gare ; mais d’ailleurs il aurait reconnu les sourcils froncés et les longs yeux roux, très ombrés sous l’arcade du front, que ce marin avait légués à sa fille, — avec peut-être son caractère et son âme.

Bien en face ils se regardèrent, ayant tout de suite compris mutuellement qui ils étaient :

— « Ah ! c’est vous !… » dit l’homme, d’un ton sombre et mauvais, entre ses dents serrées.

Pour toute réponse, Jean porta la main à son bonnet : il se sentait désarmé, respectueux, presque soumis, presque filial, parce que c’était son père et qu’il avait des yeux pareils aux siens…

— « Allez-vous-en ! — continua l’homme toujours sombre, impératif comme pour une manœuvre à bord, mais avec je ne sais quoi de subitement radouci pourtant dans le regard, — allez-vous-en !… Ce soir, c’est moi qui la reconduirai ! »

Et Jean s’en alla, sans un mot, après avoir ôté son bonnet très bas… Aucune haine n’avait jailli du croisement de leurs yeux,