Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/55

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métier, comme tous les métiers violents, dangereux, et de peu de profit, avait son côté de grandeur. Et puis, il se laissait prendre par la pleine vie physique, qui fatigue et fortifie le corps, en endormant l’esprit. Les soirs seulement, à la tombée des nuits, au large ou dans les baies isolées, revenaient, un peu déchirants, — ses souvenirs…

Par tous les temps, le rude petit bateau contrebandier, déjà vieux et meurtri, marchait quand même, battu par les lames courtes et dures, par le mistral glacé qui brûlait les visages. « C’est mon seul gagne-pain, — avait dit une fois le capitaine, de sa voix grise, — et j’ai cinq enfants là-bas ! — Qu’il marche ou qu’il crève ! » C’était pour Jean, cette réflexion explicative, la seule qu’on eût jamais entendue sortir de sa bouche ; il commençait à témoigner pour son nouveau matelot une « sorte d’attention bienveillante, dont celui-ci était fier.

De loin en loin seulement, à cause de l’imprévu de ces voyages, Jean recevait des lettres d’Antibes : Sous la même enve-