Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/165

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à moitié noyés ; à leur suite, d’autres plus petits et plus rapides, qui bientôt prennent les devants : des monitors, des torpilleurs… Oui, je me rappelle, j’étais averti et je sais où ils doivent se rendre, à la faveur de la nuit, pour prendre leur poste assez loin d’ici dans l’Adriatique et pour collaborer à la grande œuvre de libération commencée ; c’est très bien, mais qu’ils se hâtent de disparaître, je voudrais ne plus les voir ; je ne suis pas un homme de leur temps, moi, je suis quelqu’un d’une époque passée, qui s’est attardé sur la terre et qui, en ce moment surtout, ne sait pas les apprécier…

Comme l’heure s’enfuit vite ! Déjà, c’est le moment du grand flamboiement rouge. En face de moi, l’îlot et l’église de Saint-Georges-Majeur, rouges par eux-mêmes, ont l’air d’être en braise ardente. Des barques aux voiles teintes de rouge foncé rentrent indolemment sur une eau immobile et rose, où les toujours noires[1] gondoles, moins lentes, tracent des sillons miroitants, couleur d’arc-en-ciel. Au-dessous de moi, sur ce quai plus

  1. Noires, depuis les lois somptuaires.