Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/166

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large qu’aucun boulevard de grande ville, tout ce qui reste d’êtres humains à Venise s’est assemblé et se promène, pour respirer l’air enfin rafraîchi du soir. Parmi toutes ces femmes, qui vont et viennent, je ne vois plus les touristes excentriques des temps de paix ; ce ne sont guère que des Vénitiennes, la plupart fidèles au costume national, coiffées en cheveux et portant le traditionnel châle noir, aux franges d’une longueur démesurée qui semblent balayer l’air quand elles remuent les bras. Et puis viennent des matelots, des matelots par centaines, tous en toile bien blanche avec le grand col bleu, et il en arrive toujours, car c’est la sortie de l’arsenal, en ce moment rempli de navires de guerre. Ce qui donne à tout ce mouvement de rue un calme si particulier, que l’on ne connaît presque plus ailleurs, c’est l’absence absolue d’automobiles et de voitures ; qu’est-ce que l’on en ferait ici, puisque le reste de la ville est dans l’eau ? Alors, on n’a plus à se garer tout le temps de choses bruyantes qui menacent d’écraser ; c’est la vraie flânerie douce, où il n’est même pas utile d’élever la voix.

De ma fenêtre, je domine tous ces groupes