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Page:Loti - La Galilée, 1896.djvu/52

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d’Acre, on l’a vu passer, lui aussi, dans la plaine d’Esdrelon, très vite, juste le temps d’y mettre en déroute une armée et de la coucher dans les herbes ; son souvenir en ce moment nous revient, car voici que se lève au-dessus des blés et des orges ce village de El-Affouleh sur lequel, à l’improviste, il s’abattit des hauteurs de Nazareth, un matin d’avril, pour dégager Junot et Kléber qui faiblissaient devant la grande armée turque. El Affouleh est semblable aux autres villages de la plaine ; ses masures sont dans le même délabrement et se groupent derrière des haies de cactus avec les mêmes poses de méfiance. A l’entrée, quelques femmes, les bras nus dans l’eau, tordent des linges au lavoir ; des petits ânes et des petits veaux jouent ensemble, très comiques, se poursuivent, courent sur la terre grasse et noire, semée de détritus, de carcasses de bêtes, de crânes et de vertèbres. De tout ce repaire, s’exhale une sauvage odeur humaine, plus sensible après le bon air qui passait sur les orges désertes. Les milliers de morts que Bonaparte laissa ici dans les champs d’alentour n’ont pas de pierres pour marquer leur souvenir et, depuis cent années bientôt, les Arabes, en labourant, ont dû bien des fois retourner leur cendre. Nous cheminons recueillis